Le harcèlement de rue

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« Leur grande alliée, c’est la « pulsion ». La théorie de la pulsion justifie ceci : le corps masculin a le droit biologique de perdre tous ses repères humains, démocratiques, courtois. Tant pis si la vie d’une femme est en jeu, « la pulsion » vient au secours du crime ».

Les propos de l’essayiste féministe, historienne et journaliste franco-britannique Natacha Henry illustrent les atteintes que constituent notamment le viol, le harcèlement sexuel ou encore le harcèlement de rue.

Le harcèlement de rue est un débat désormais courant dans les médias mais cela n’a pas toujours été le cas.

Ce phénomène bénéficiait auparavant d’une opportune opacité juridique et pénale, ainsi qu’une véritable omerta au sein de la société.

Le harcèlement de rue est donc désormais mis en lumière et d’autant plus depuis le célèbre mouvement social mondial « #MeToo ». 

La question de la lutte contre le sentiment généralisé d’insécurité notamment féminin s’est alors posée, s’inscrivant parfaitement dans une volonté politique de neutralité de l’espace public. 

Dès lors, au regard de cette prise de conscience collective, il est intéressant de préciser comment le phénomène du harcèlement de rue est appréhendé aujourd’hui.

1) Un travail sur la sémantique 

Il est apparu très vite évident que les termes employés couramment, étaient manifestement réducteurs.

En effet le « harcèlement » s’entend comme des agissements répétés à l’encontre d’une personne et conditionne la sanction pénale à un comportement répété. 

Le Code pénal lui a alors préféré la notion « d’outrage sexiste », dont la définition est d’ailleurs franchement inspirée de celle du harcèlement sexuel mais adaptée à un comportement unique. 

Désormais un « one shot » suffit pour une sanction.

Concernant le terme de « rue », il a été retenu que ces agissements sont susceptibles d’être sanctionné sur l’intégralité de l’espace public : grandes ou petites villes, les quartiers citadins et les villages les plus reculés.

2) La répression de l’« outrage sexiste »

C’est donc la loi du 8 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexistes et sexuelles qui a consacré l’article 621-1 du Code pénal.

Ce comportement est défini comme le fait « d’imposer à une personne tout propos ou comportement à connotation sexuelle ou sexistes qui soit porte atteinte à sa dignité en raison de son caractère dégradant ou humiliant, soit crée à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ». 

Marlène Schiappa, secrétaire d’état en charge de l’égalité entre les femmes et les hommes avait rappelé pour l’occasion que :

« Les femmes qui marchent ne sont pas à la disposition du tout-venant et leurs corps ne sont pas des biens publics ».

Quelle sanction pour ce type de comportement ?

La sanction de l’outrage sexiste prend la forme d’une contravention de 4ème classe assortie d’une amende allant jusqu’à 750 euros. 

En cas de circonstances aggravantes (abus d’autorité, sur mineur, vulnérabilité, en réunion, dans un transport collectif, en raison de l’orientation sexuelle etc), la contravention passe en 5ème classe, et le montant de l’amende peut aller jusqu’à 1500 euros. 

Il peut s’ajouter, à titre de peine, un stage de sensibilisation.

3) Un interdit consacré mais conditionné

L’efficacité de la mesure est largement conditionnée par la mise en œuvre des moyens humains et opérationnels. 

Ce système montre paradoxalement ses limites puisque la mise en oeuvre de la sanction est rendue complexe, notamment sur le terrain de la preuve.

Ce constat permet certainement d’expliquer le bilan mitigé des mises en cause pour outrage sexiste depuis la création de cette infraction pénale.

Par conséquent, s’il est aujourd’hui indéniable que le « harcèlement de rue » fait l’objet d’une prise de conscience collective et d’outils juridiques, la mise en oeuvre apparaît comme plus difficile. 

En effet, si une protection pénale a été consacrée afin que toute personne puisse flâner dans l’espace public sans se soucier d’agressions verbales ou physiques, celle-ci reste largement conditionnée par l’arsenal des moyens opérationnels mis en place. 

Ainsi, la création de l’infraction nécessite un déploiement d’importants moyens, notamment humains, afin d’inquiéter suffisamment les auteurs de ces agissements. 

Face à ce constat, il parait évident que cette problématique ne se résoudra pas uniquement par le prisme juridique, le triptyque reconnaissance, répression et prévention nécessitant un approfondissement certain de son troisième volet. 

La sensibilisation, au même titre que l’éducation joue et continuera de jouer un rôle primordial dans la lutte contre ces agissements. 

Alors, si cette lutte s’annonce être un combat de longue haleine, la création de l’outrage sexiste a tout de même le mérite d’exister et  une vocation pédagogique, participant ainsi à la consolidation du « vivre ensemble », au même titre que de nombreuses problématiques sociétales, politiques et juridiques contemporaines. 

Par Charlène SANZBERRO & Jessica HENRIC
Cabinet HENRIC AVOCAT

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